Titre
original : El beso de la mujer araña
Traduction
d'Albert Bensoussan
(Editions
du Seuil, 1979)
Écrivain,
l'Argentin Manuel Puig (1932-1990) entretient avec le cinéma une
relation forte qui nourrit toute son œuvre, il avait notamment
bénéficié d'une bourse pour étudier le cinéma à Rome avant de
choisir la littérature comme mode d'expression.
Trois
de ses romans ont été adaptés au cinéma : Boquitas
pintadas (Le plus beau tango du monde) par
Leopoldo Torre Nilsson, Pubis angelical par
Raúl de la Torre et Le
baiser de la femme araignée par
Héctor Babenco. C'est cette dernière adaptation filmique qui, en
1984, a donné à l'auteur une renommée internationale.
Installé
au Mexique dans les années 1970 pour ne pas subir les pressions de
la censure, c'est là-bas, en 1976, qu'il écrit ce roman qui met en
scène deux personnages enfermés dans la même cellule : Valentin,
prisonnier politique et Molina, un homosexuel. Un texte critique
de María Lourdes Cortes, Amor
y traición : cine y literatura
en America Latina, montre comment ces personnages
très stéréotypés, le guérillero et l'homosexuel efféminé, au
fil de l'histoire, et surtout dans le roman où le discours intérieur
des personnages apparaît, deviennent plus complexes et plus mêlés.
Par
ailleurs, dans le roman, le thème de l'homosexualité est traité de
manière plus détaillée puisque de nombreuses notes de bas de page
permettent d'exposer différentes théories sur le sujet :
celles de Freud, de Marcuse, de Mircea Eliade...
"-Je peux t'interrompre, Molina ?-Oui, mais j'ai presque fini, pour cette nuit je veux dire.-Une seule question, qui m'intrigue un peu.-Quoi ?-Tu ne vas pas te fâcher ?-Ça dépend.-C'est intéressant à savoir. Et après, toi, si tu veux, tu m'en demandes autant.-Vas-y.-Avec qui tu t'identifies ? Avec Irena ou la femme architecte ?-Avec Irena. Qu'est-ce-que tu crois ? C'est la vedette : non mais, quelle cruche ! Moi : toujours avec l'héroïne.-Continue.-Et toi, Valentin, avec qui ? Tu es coincé, parce que le gars te semble un con.-Tu vas rire. Avec le psychanalyste. Mais ne te moque pas, j'ai respecté sans commentaire ton choix. Continue.-Ensuite on en discute, si tu veux, ou demain.-Oui, mais continue encore un peu.-Un tout petit peu, pas plus : j'aime te reprendre la friandise au meilleur moment, comme ça le film te plaît davantage. C'est ce qu'il faut faire avec le public, sinon il n'est pas content. A la radio, avant, ils faisaient toujours ça. Maintenant, ce sont les feuilletons de la télé.-Vas-y.-Bon. On en était au moment où la petite ne sait plus s'il faut courir ou pas, et voilà qu'on n'entend presque plus les pas, le bruit des talons de l'autre je veux dire, parce que ce sont des pas différents, presque imperceptibles, quelque chose comme des pas de chat, ou pire. Elle se retourne et ne voit plus la femme : comment a-t-elle pu disparaître d'un coup ? Mais elle croit voir une autre ombre, qui glisse et disparaît aussitôt. Et ce que l'on entend maintenant, c'est un bruit de foulées dans les taillis du parc, des foulées d'animal, qui se rapprochent.-Et alors ?-On continue demain. Tchao. Fais de beaux rêves ;-Tu me le payeras.-A demain."
María Félix dans le film italien Messaline (1951) |