"Les lances rouges" d'Arturo Uslar Pietri


Titre original : Las lanzas coloradas
Traduit par Jean Cassou
(Le Serpent à Plumes, 1999)

Arturo Uslar Pietri (1906-2001) est une des grandes figures intellectuelles du Venezuela. Il a obtenu pour son œuvre littéraire de nombreuses récompenses : Prix Princesse des Asturies et prix Cervantes en Espagne, prix Maria Moors Cabot aux États-Unis.
Publié en 1931, ce roman est un des chefs-d’œuvres de la littérature vénézuélienne. Centré sur la geste indépendantiste de ce pays au début du XIXe siècle, il propose un récit qui met en avant la violence de la guerre. Ici, des héros mais surtout des personnages emportés par la tourmente de l'histoire : Fernando, grand propriétaire terrien au caractère hésitant qui se laisse séduire par les idéaux des lumières ; Sa sœur Inès, demoiselle provinciale et romanesque qui sombrera dans l'horreur ; Presentación Campos, le contremaître, qui voit dans ce conflit l'occasion de laisser libre cours à sa force virile... Une fresque historique, cruelle et épique d'une époque où la mort moissonnait les vies. 

"De nouveau l'attaque se concentre sur la ville. Les pelotons de cavalerie entrent plus violemment dans les rues, mais la fusillade des maisons les moissonne. Presentación Campos fait sauter sa bête d'un côté et d'autre comme dans un exercice de voltige. Quand sa course atteint une vitesse vertigineuse, il assène son arme sur la première ombre qui passe, et son bras de fer résiste au formidable rejet en arrière du corps traversé par la lance. Dans le mélange gris que, vu de sa course, font les hommes, parfois, intégralement claire comme un éclair, brille sur lui une lance : mais il saute de côté ou arrête net sa monture, telle une vague contre une pierre, et le coup de lance le frise. Il sent une plénitude de vie comme il n'en a jamais éprouvée. Tressés entre eux, comme les doigts sur la hampe, tressés, étranglant la chair, ses nerfs vibrent. Vital, nerveux, enragé, il attaque. Entre ses jambes, l'animal est couvert d'écume et de sang, le bras et la poitrine sont rouges, le sang coagulé fait glisser la main sur le bois." 


Charge polonaise à Somosierra de Wojciech Kossak et Michal Gorstkin Wywiorski (1907)