Titre original : « Meu tio o iauaretê »
Traduction de Jacques Thiériot
(Albin Michel, 1998)
Périlleux exercice que la traduction de ce texte d'un des grands rénovateurs de la littérature en langue portugaise, João Guimarães Rosa (1908-1967). Comme l'explique le traducteur, l'auteur « a parcouru tout le Minas Gerais en recueillant, pour en nourrir son œuvre, toutes formes de parler non écrit : mots, expressions, dictons, chansons ». Le résultat est un livre étrange où le langage puise sa poésie dans la transformation... Il s'agit du long monologue d'un chasseur d'origine indienne qui raconte ses chasses et la beauté des fauves avec qui, on l'apprend peu à peu, il est apparenté. Entre animalité et humanité, un livre où l'on doit accepter l’indicible du langage pour entrer dans la magie de sa nature.
« La première que j'ai vue et que j'ai pas tuée, ç'a été Maria-Maria. J'avais dormi dans la forêt, tout près d'ici, au pied d'un p'tit feu que j'avais fait. Au p'tit matin, je dormais encore. Elle est venue. M'a réveillé, elle me flairait. J'ai vu ces beaux yeux, des yeux jaunes, avec les petites taches jaunes qui flottaient, c'était bon, dans cette lumière... Alors j'ai fait semblant que j'étais mort, je pouvais rien faire. Elle m'a flairé, gniff-gniff, une patte en suspens, j'ai cru qu'elle cherchait mon cou. Un ouroucouera a piaulé, y avait un crapaud, coa-coa, les animaux de la forêt, et moi qui écoutais, et ça durait... J'ai pas bougé. C'était un coin calme paisible, et moi couché dans le romarin. Le feu s'était éteint, mais il y avait encore une chaleur de cendres. Elle s'est même frottée contre moi, elle me regardait. Ses yeux se rapprochaient l'un de l'autre, ses yeux brillaient... une goutte, une goutte : l'oeil sauvage, pointu, fixe, qu'elle vous plante, elle veut enjôler : elle le détourne plus. »
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| Guerrier jaguar aztèque, Codex Magliabechiano, Milieu XVIe siècle |
