"Abel le magicien" de Carlos Victoria


Titre original : La ruta del mago
Traduit par Liliane Hasson
(Actes Sud, 1999)

L'écrivain et journaliste Carlos Victoria, né à Camaguey en 1950 et décédé à Miami en 2007, s'exila de Cuba lors de la vague d'immigration de 1980 surnommée celle des "marielitos" parce que ceux qui partirent s'embarquèrent au port de Mariel. Deux autres écrivains de la même génération faisaient partie des "marielitos" : Reinaldo Arenas et Guillermo Rosales. D'ailleurs, dans une de ses nouvelles, La estrella fugaz, Carlos Victoria met en scène trois amis écrivains pauvres, furieux et exilés qui rappellent leurs trois figures.

L’œuvre de Carlos Victoria compte des recueil de nouvelles comme Las sombras en la playa et El resbaloso y otros cuentos et des romans qui ont été traduits en français : Puente en la oscuridad (Un pont dans la nuit), La travesía secreta (La traversée secrète) et, publié en 1997, La ruta del mago.

Le personnage central de ce dernier roman est un garçon âgé de treize ans, Abel, qui vit, depuis que sa mère est morte, avec sa cousine Alice. La révolution vient juste d'avoir eu lieu. Alice a peur de se voir confisquer sa boutique et, comme elle ne veut pas tout perdre, elle charge Abel de faire payer leurs dettes à tous les clients. En suivant le parcours d'Abel dans la ville, le paysage social et politique de l'époque se dessine : Sofia, la mulâtresse qui s'est marié avec un blanc bravant le désaccord de leur respective famille, l'administrateur qu'envoie le gouvernement pour gérer la boutique dont Alice tombe amoureuse, Leonor qui travaillait comme bonne dans une maison bourgeoise dont les propriétaires ont fui la révolution, Arturo, l'homosexuel qui s'exile aux États-Unis... Abel qui découvre l'intimité, les conflits et les frustrations des familles découvre la vie et va devoir trouver son chemin.

"Mais toi, tu vas lui parler fermement, tu vas lui dire qu'elle doit me payer. Que si elle manque d'argent elle n'a qu'à vendre n'importe quoi, ces gens lui ont tout laissé, ou plutôt elle a tout pris, oui, pris, parce que c'est une voleuse. Parfaitement, une voleuse ! Mais moi, elle va pas me voler, non mais des fois!Alicia en était défigurée ; une veine gonflée battait sous la peau fragile de sa tempe.  Pourtant, en suivant de près ces effluves intenses dans la pénombre des chambres, Abel ne concevait pas que cette femme, dont les fesses et le dos se dessinaient sous l'étoffe claire, ait pu voler quiconque. Du reste, quelle importance ! Il avançait l'esprit embrumé par le parfum et par la cadence langoureuse du corps qui le précédait, en soulevant des tentures."

La Havane 1954