"Le paysan Aguilar" d'Enrique Amorim


Titre original : El paisano Aguilar
Traduit par Denise Laroutis
(Patiño, 2006)

Enrique Amorim (1900-1960), né en Uruguay, a vécu dès l'âge de quinze ans en Argentine. Il participe, dans les premières décennies du XXe siècle, à l'intense vie culturelle de Buenos Aires. Il fut romancier, poète, dramaturge et scénariste de film.

Le roman a pour cadre le monde rural d'Uruguay et met en scène un personnage, Pancho Aguilar, qui, après des études à la capitale, décide de reprendre l'estancia de ses parents et va, peu à peu, s'intégrer à la vie paysanne. Le récit d'une métamorphose sociale qui permet à l'auteur de déployer un portrait de la société de son temps : les grands propriétaires terriens, les ouvriers agricoles, les filles de service, les contrebandiers, les vendeurs de bestiaux, la petite bourgeoisie citadine, les politiciens de la capitale...

Un roman qui montre aussi le croisement des influences chez un auteur qui, d'un côté, s'inscrit dans les traditions de la littérature folkloriste ou réaliste et, de l'autre, s'inspire des voies proposées par les avant-gardes de l'époque.

"Étriqué dans sa tenue urbaine, il descendit en ville. Il y retournait giflé de vent et de soleil. Il sentait dans ses mains la campagne, la campagne qui s'y était prise, faisant sortir des cals. Aguerri, endurci, il avançait dans les rues sans arbres, emmuré, gêné par la limitation de son champ visuel. Dans cet environnement de pierre et de ciment, il se sentait un peu comme un végétal, un arbre transplanté au tronc rugueux. Le visage fané, comme les feuilles d'une frondaison piétinée sur les routes.

En croisant ses amis, il percevait le frôlement de leurs regards. Les yeux des citadins de sa connaissance limaient les aspérités de ses gestes. Et sa figure tannée était indocile au sourire. Il lui fallait faire un effort pour écarter la commissure des lèvres, les ouvrir dans une expression aimable, cordiale."