Titre
original : La Historia de Horacio
Traduit
par Delphine Valentin
(Carnets
Nord, 2012)
Tomás González est un auteur colombien, né à Medellin en 1950 qui a vécu longtemps aux États-Unis. Son premier roman Primero estaba el mar, publié en 1983, a été traduit en français sous le titre Au commencement était la mer (Carnets Nord, 2010). L'histoire d'Horacio est son troisième roman.
Le
récit peut sembler anecdotique : l'existence ordinaire
d'Horacio qui adore les antiquités, sa femme, ses vaches, sa
Volksvagen... un homme qui aime la vie et meurt indigné de mourir.
Mais la citation qui introduit le récit incite à chercher une clef
de lecture plus complexe : « Le temps signifie
uniquement que les étapes du devenir peuvent se déployer en lui
selon un ordre précis. En habitant entièrement chaque instant, on
transforme ces étapes du devenir en voyage jusqu'au ciel. » La
citation est tirée du Yi King. Appelé aussi Le
Livre des Transformations, cet ouvrage est un des piliers de
la philosophie chinoise, une philosophie qui, contrairement à la
philosophie occidentale centrée sur les choses dans leur essence,
s'intéresse aux mouvements des choses dans leur transformation.
Or
ce qui frappe dans le roman c'est le matérialisme qui régit
l'existence d'Horacio. Par exemple l'attachement qu'il a pour ses
antiquités l'amène à refuser de les vendre même quand il a un
besoin pressant d'argent, il emprunte donc à ses frères tout au
long de sa vie. Il n'est pas anodin de noter que le récit se déroule
d'ailleurs dans les années 1960, juste quand émerge la société de
consommation. L'autre aspect saillant du personnage est son
inconséquence. Ainsi, il meurt après de multiples arrêts
cardiaques sans jamais arrêter de fumer.
Le
roman apparaît ainsi comme un démenti ironique du principe initial
de la citation. Ici, nulle gradation. L'existence d'Horacio frappe
par son aspect répétitif : sa femme, les vaches, les
antiquités, ses frères sont autant de motifs qui reviennent au fil
du temps, sans grande variation, donnant la sensation d'être dans un
univers sans horizon, presque aussi artificiel que celui d'une série
télévisée. Ici, nul devenir transcendantal mais un destin limité
par la subjectivité immédiate et répétitive du protagoniste.
"À une heure de l'après-midi, sa fille aînée, Sofía, entra dans le cabinet et lui dit que le déjeuner était servi. Sofía avait déjà les cheveux gris. Lorsque Rosalía mourut elle suivait sa quatrième année de médecine et était non seulement la seule femme de la faculté, mais aussi l'un des plus brillants éléments. De grands yeux couleur de miel, comme ceux de sa maman, qui voyaient tout. Ángel aussi était en faculté de médecine. Puis il abandonna les études et se mit à l'aguardiente. Alberto faisait le séminaire, Daniel, au séminaire aussi. Les trois autres filles préparaient leur bac. Il fallait bien que quelqu'un tienne la maison, non ? pensa le médecin. […] Comme Rosalía avant, l'aînée veillait désormais à ce que les haricots du déjeuner soient impeccables – selon une recette de la région datant de plus de deux cents ans et qui n'admettait plus la moindre amélioration. Et comme on lui servait à chaque fois la même quantité de haricots, pas trop, avec les mêmes deux pieds de cochon, la même portion de riz fumant, la même banane plantain à côté du plat de haricots, les deux galettes de maïs dorées, la demi-lune d'avocat et les deux quartiers de goyave au sirop à côté du même verre de lait, sur la même nappe blanche, les déjeuners du médecin semblaient n'en être qu'un, peint sur un mur."
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| Le jour ni l'heure de Roger Bissière |
