Titre original : "1492 : Vida y tiempo de Juan Cabezón de Castilla"
Traduction de Jean-Claude Masson
(Editions du Seuil, 1990)
Le poète Homero Aridjis est une des figures les plus importantes de la littérature mexicaine contemporaine. Né en 1940, il fut le fondateur de la revue de poésie Correspondencias, rédacteur en chef de la prestigieuse revue Diálogos, directeur de l'Institut culturel du Michoacan et, aussi, diplomate. L'ensemble de son œuvre a été récompensée par le prix Roger Caillois et il a obtenu par deux fois la bourse Guggenheim. Surtout connu pour son œuvre poétique, il a écrit aussi des romans, des œuvres de théâtre, des essais et des livres pour enfants.
Le roman 1492 - Les aventures de Juan Cabezón de Castille, paru en 1985, est un roman historique, mais écrit par le souffle puissant d'un poète, qui nous plonge dans la langue, l'esprit et les événements de l'Espagne du XVe siècle, des émeutes de Séville en 1391 qui marquent la fin de l'Espagne des trois religions à l'édit d'expulsion des Juifs signé en 1492. Le fil conducteur du roman est Juan Cabezón, un descendant de Juifs convertis, dont on nous conte les origines, la quête et les mésaventures ; un véritable héros. On trouve dans ce roman des descriptions qui semblent convoquer l'univers d'un Jérôme Bosch :
« Des femmes de la maison de tolérance étaient sorties pour danser au son des tambours de basque, accompagnés d'une ânesse habillée en dame de qualité, à laquelle deux servantes donnaient à manger. Trois autres prostituées les suivaient engoncées dans une même jupe, les mains et le pieds dépassant par six trous. En tête du cortège, il y avait un nain à deux faces, quatre bras et quatre pieds, que soulevait et abaissait une géante peinturlurée qui se disait sa femme »
Bouffonneries, visions fantastiques, mascarades... font de cet univers où règnent la mort et la terreur un monde absurde, un monde inversé. Mais, Homero Aridjis a surtout fait œuvre d'historien, il a lu des biographies, des chroniques, des Mémoires, des ouvrages historiques anciens et modernes. Il dresse un portrait saisissant et pathétique de cette époque violente et sombre. Il n'est pas anodin que ce soit un Mexicain qui se penche sur cette Espagne intolérante et fanatique qui est sur le point d'entrer en contact avec un monde nouveau... Ainsi, un officier de l'Inquisition interroge un homme dans une auberge :
"-Que cherchez-vous à Tolède ?
-Notre bonne reine, doña Isabelle, afin de lui soumettre un projet assez grandiose.
-Tiens donc... la conquête de Grenade ?
-Non, monsieur, la route des Indes, par l'Occident.
-Attention, vous pourriez prendre le plus court chemin de l'hérésie.
-Par saint Ferdinand, je ne cours aucun risque, je vogue sur la mer de la foi.
-C'est une mer froide et obscure.
-J'ai sillonné des mers plus froides et plus sombres que la mort, a répondu l'homme.
-Les générations passent comme les vagues de la mer ; ainsi des rêves de l'homme, a déclaré le familier.
-Ce que je cherche est plus près de mes rêves qu'un jet de pierre.
-J'espère que vous n'êtes pas encore plus près du bûcher.
-Rassurez-vous, monsieur ; avant d'entreprendre quoi que ce soit, j'invoque la Sainte Trinité, toutes mes cartes maritimes ont pour en tête Iesus cum Maria sit nobis in via et j'ai toujours sur moi un livre d'heures canoniques pour dire mes prières en privé, a dit l'homme en se levant pour se retirer dans sa chambre.
-Vous partez déjà ?
-J'ai maintes lieues à parcourir avant l'aube.
-Ne nous quittez pas sans décliner votre nom.
-Cristóbal Colón."
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| Synagogue du Tránsito. Tolède.Javi Guerra Hernando, 2008. |
