« Budapest » de Chico Buarque

 Traduction de Jacques Thiériot

(Éditions Gallimard, 2005)


Connu pour sa carrière musicale, Chico Buarque s'avère un écrivain savoureux dans ce roman qui raconte les mésaventures linguistiques et sentimentales d'un nègre littéraire qui oscille entre le Brésil et la Hongrie, entre le portugais et le magyar. Un roman qui semble un pied de nez aux certitudes identitaires et rappelle que l'écrivain, où qu'il soit, est un amoureux du langage, de sa musicalité, de sa manière d'ordonner le réel et de solliciter l'imagination.


« Faute de la moindre notion de l'aspect, de la structure, du corps même des mots, je n'avais aucun moyen de savoir où commençait et finissait chacun d'eux. Impossible de détacher les uns des autres, c'eût été comme prétendre découper un fleuve au couteau. À mes oreilles, le hongrois aurait pu tout aussi bien être une langue d'une seule pièce, qui n'était pas constituée de mots et dont on n'avait la connaissance que dans son intégralité. Et l'avion réapparu sur la piste, une image lointaine, sombre, statique, qu'accentuait la voix off du commentateur. Avoir des nouvelles de l'avion déjà ne m'importait plus, le mystère de l'avion était occulté par le mystère de la langue qui transmettait les nouvelles. J'avais l'oreille rivée à ces sons amalgamés quand soudain, j'ai repéré le mot clandestin. Lufthansa. Oui, Lufthansa, aucun doute, le locuteur l'avait laissé échapper, ce mot allemand infiltré dans la muraille de mots hongrois, la brèche qui me permettrait de disséquer tout le vocabulaire. »

 

Chico Buarque en 1998