« Duerme, l`eau des lacs du temps jadis » de Carmen Boullosa

 Titre original : « Duerme »

Traduction de Claude Fell

(Nantes, l'Atalante, 1997)


Poétesse, romancière, dramaturge, Carmen Boullosa (1954) est une des plumes les plus brillantes de la littérature mexicaine actuelle. Dans ce roman, elle élabore un récit bigarré, émaillé de scénettes, de visions et de poèmes, dont les tours et les détours ont l'art de retenir l'attention du lecteur. Quelques années après la conquête de la Nouvelle Espagne, une jeune française, Claire, arrive, déguisée en homme, jusqu'à Mexico. Roman d'aventure? Elle est enlevée pour prendre la place du comte Urquiza, condamné à la potence, mais une servante indienne la rend immortelle en lui infiltrant l'Eau des lacs du temps jadis. Conte exotique ?

Ce livre est aussi une plongée dans l'ordre colonial qui se met en place. On retrouve chez Carmen Boullosa les jeux temporels d'un Carlos Fuentes : évocation d'un passé mythique ou jeu d'anticipation. Mais, contrairement à son aîné, elle ne cherche pas à fonder une identité culturelle, elle semble plutôt interroger la littérature et l'histoire en les revisitant à partir de la modernité.


« Pedro de Ocejo dit que les gens d'ici le font rire avec leurs manières prétentieuses qui les conduisent à des excès ridicules, pas seulement pour les voitures : ici les vêtements n'ont d'équivalent dans aucun pays européen, en partie parce qu'ils sont coupés dans des tissus fort raffinés (on emploie le velours à profusion dans la confection de manteaux, casaques, chausses, souliers et bonnets, les bas sont de soie, les habits doublés de satin, quand les pourpoints sont en satin on les double de taffetas, dans le damas on taille des capes, de longues jaquettes, des tenues courantes ou d'intérieur ; les pourpoints sont aussi en toile de Hollande, de Damas, de Rouen), en partie parce que chaque Espagnol a plusieurs habits, et puis parce que les vêtements ont pris des formes excessives et grotesques, les cols sont gigantesques, les manches traînent par terre et il est fréquent d'en voir quatre à un pourpoint, pourtant personne ne prétendra qu'ici les gens ont quatre bras... »


Illustration de "Antiguas ciudades de América" (Buenos Aires. Emecé, 1943)