Titre original : La Gloria de Don Ramiro
Traduction de Rémy de Gourmont
(Phébus, 1992)
Le jeune Ramiro, rejeton d'une noble famille, grandit sous le règne de Philippe II. Ce héros, fier de la pureté de son sang, ambitieux et exalté, ignore que son père est un sarrasin. Ce motif romanesque devient, ici, le prétexte à explorer "l'âme espagnole" telle que pouvait l'entendre l'Argentin Enrique Larreta dont l'écriture garde l'empreinte du Romantisme : essentialisme de la nation, exotisme dans la mise en scène de la belle mauresque, correspondance entre les états du personnage et le décor qui l'entoure, etc.
Publié en 1908 en Espagne, traduit en français par Rémy de Gourmont deux ans plus tard, ce roman à succès a fait de son auteur un des premiers classiques de la littérature latino-américaine. En Espagne même, le livre ne fut pas très bien reçu : il peignait une nation qui célébrait l'austérité et la piété mais qui était surtout violente, intolérante et affamée de gloire tout autant matérielle que spirituelle. L'ouvrage voulait rappeler aussi les origines orientales de la civilisation hispanique.
"Et la misère et la faim grandissaient comme des fléaux de Dieu. Un sort malfaisant semblait stériliser la glèbe, arrêter les moulins, les tours, les tissages, disloquer les bras de l'artisan. Beaucoup ne savaient plus comment gagner leur subsistance et ils allaient la voler n'importe où. On vivait dans l'incertitude de la goulée ; le pain devint une proie. Les filouteries de la faim devinrent un art honorable et subtil qui eut son romancero et ses manuels, ses poètes et ses bacheliers. Le mal attaquait plus durement les hidalgos sans patrimoine, auxquels l'illustration et l'ancienneté de leur race ne permettaient pas de souiller leurs mains aux métiers. Plus d'un mangeait le rogaton que volait son page, et soupirait avec une tristesse pleine de dignité en humant au passage l'appétissant fumet des pâtisseries. L'étudiant imita pour vivre les ruses des chiens. Ses jambes de lévrier étaient la terreur des boutiques. Ce fut alors le temps glorieux de la marmite commune. Les couvents s'emplirent de moines et leurs porteries de mangeurs de soupe. L'hôpital et la prison furent recherchés comme d'heureux refuges où on mangeait régulièrement et comme par miracle. Des milliers de malheureux se façonnaient des pustules sanglantes ou commettaient des délits pour être nourris. Les rues étaient pleines de faux mendiants ; les campagnes, de faux anachorètes ; les ports d'hidalgos faméliques qui venaient demander une place sur les galions."
