"La lune décapitée" de José Emilio Pacheco

Titre original : El viento distante

Traduction de Gérard de Cortanze

(E.L.A. La Différence, 1991)


Poète, romancier, essayiste, traducteur, le Mexicain José Emilio Pacheco (1939-2004) est un des meilleurs écrivains de sa génération. Ce recueil de nouvelles publié une première fois en 1963, puis en 1969 augmenté d'un récit, propose des histoires qui sont autant de variations poétiques sur le thème de la cruauté : mortifications et frayeurs enfantines, blessures fugaces de l'existence, histoires absurdes … un recueil qui propose un jeu littéraire subtil. Dans l'introduction de Gérard de Cortanze, on peut lire cette précieuse indication : "José Emilio Pacheco considère la poésie comme un "work in progress" à l'intérieur duquel l'écrivain ne peut accepter l'idée de "texte définitif". A l'attitude conférant à chaque page un caractère sacré, immuable, inaltérable, Pacheco oppose une conception plus mouvante de l'écriture. La poésie n'est pas une "création éternelle mais le fruit d'un travail humain, un produit historique et périssable : "Tant que je vivrai, je me corrigerai".


"L'homme prend dans ses bras la tortue pour l'extraire de l'aquarium. A présent sur le sol, la tortue se débarrasse de sa fausse tête. Sa bouche véritable prononce d'obscures paroles qui hors de l'eau sont incompréhensibles. L'homme s'agenouille, l'embrasse et l'attire contre sa poitrine. Il pleure sur l'humide et tendre carapace. Personne ne peut comprendre qu'il est seul, personne ne peut comprendre qu'il l'aime. Il la repose sur son lit de boue, cache ses sanglots et vend d'autres billets. L'aquarium s'éclaire. Les bulles montent une à une. La tortue commence son récit. »

 

 Perséphone surveillant Sisyphe avec son rocher dans les Enfers. Face A d'une amphore attique à figures noires, v. 530 av. J.-C. Provenance : Vulci.