Titre original : Cae la noche tropical
Traduction d'Albert Bensoussan
(Christian Bourgeois Editeur, 1990)
Deux très vieille dames, deux sœurs, racontent et commentent la vie de leur voisine et on se surprend à suivre, nous aussi, cette conversation qui semble indiscrète et futile. C'est que cet échange, qui se poursuivra par correspondance quand elles seront séparées, en dit long sur elles deux et sur ceux qui les entourent autant que sur la voisine... Un roman léger et grave tout à la fois où notre curiosité est ramenée à notre humanité.
" -Tu devais m'expliquer comment était la voix de l'homme, et pourquoi ça l'impressionnait autant.
-Ce samedi-là elle était beaucoup plus calme. Presque contente. C'était pour elle une surprise agréable, elle avait cru que ça ne lui arriverait plus jamais dans la vie, de s'enthousiasmer ainsi pour un homme. Et maintenant elle voulait savoir pourquoi. Elle se sentait comme une petite jeune fille.
-Parle-moi de la voix.
[…]
-D'après elle, il lui était resté quelque chose d'étrange dans la poitrine, que le temps n'avait pas touché. Il était devenu mûr, il avait vieilli un peu, mais dedans il porte encore ce qu'il était auparavant, un petit jeune homme que personne ne laisse parler. Il est silencieux, en pénitence dans son coin, et le temps passe et il est toujours là, le pauvre, oublié, mais il ne vieillit pas, dans son cœur il reste le jeune homme en pénitence qui n'ose plus ouvrir la bouche, et se plaindre de rien. Mais elle l'a deviné, qu'il était là, joli jeune homme, déjà robuste comme il est maintenant quoique sans un pouce de graisse, mais oublié de tous, et elle lui a parlé. Et le jeune homme n'osait presque pas lui répondre, c'est pourquoi sa voix avait ce timbre-là, rauque, et il bredouillait, parce qu'il ne pouvait croire qu'enfin quelqu'un lui adressait la parole. Tu comprends ce que je te dis ? "
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| Causerie de James Guthrie (1892) |
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