Titre original : "Vigilia del Almirante"
Traduit par François Maspero
(Paris : Seuil, 1994 )
En 1992, alors que l'on était en pleine effervescence (et polémique) des célébrations de la découverte de l'Amérique, le grand écrivain paraguayen Augusto Roa Bastos (1917-2005) publie un livre qui revisite de manière radicale la figure de Christophe Colomb et le récit même de la découverte.
Roa Bastos rend compte, dans ce livre, du climat intellectuel dans lequel va s'effectuer l'aventure de la découverte : la mythologie antique se mêle au mysticisme chrétien, Pythagore et Averroès côtoient Jason ou Amadis de Gaule, les récits fabuleux complètent les avancées de la cartographie... La poésie du texte trouve sa source dans cet imaginaire bigarré où sciences et croyances se confondent.
On retrouve, au fil de la lecture, tous les éléments biographiques connus : les protections dont bénéficia le navigateur, le départ de Palos avec les trois caravelles, la traversée de la mer des Sargasses, le trucage des mesures pour apaiser l'inquiétude de l'équipage... mais redistribués ou détournés par la tension poétique du texte même parce que c'est un roman qui, en juxtaposant les témoignages réels et fictifs, remet en question la limite entre récit historique et récit fictionnel.
« Comment choisir entre des faits imaginaires et des faits prouvés par des documents ? Ne se complètent-ils pas plutôt dans leurs oppositions et leurs contradictions, dans leurs natures respectives et symétriques. Est-ce à dire que la rigueur scientifique et l'imagination symbolique ou allégorique s'excluent et s'annulent. Non, ce sont plutôt deux voies différentes, deux manières de voir le monde et de l'exprimer. Toutes deux pollinisent et fécondent à leur façon – pour employer le langage des botanistes - l'esprit et la sensibilité du lecteur, véritable auteur d'une histoire qu'il réécrit en la lisant, dans la mesure où lecture et écriture, science et intuition, réalité et imagination se réclament inversement des mêmes signes»
Le récit n'est pas univoque mais offre de multiples points de vue : Écrits de Christophe Colomb, témoignages des chroniqueurs, chapitres où s'exprime le narrateur... Le récit n'est pas, non plus, linéaire : Passé et futur se confondent et se dilatent donnant toute sa dimension de mythologie au récit de la Découverte. Roa Bastos réinterprète cette mythologie : Colomb n'est pas le découvreur de l'Amérique, cette découverte a été une appropriation d'un espace déjà habité et déjà visité. Il répond à la commémoration de l'historiographie officielle avec un texte qui dit la probable vérité de la poésie.
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