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| America tertia pars. Thédore de Bry (1592) |
Titre original : Tríptico de la infamia
Traduit par Jean-Marie Saint-Lu
(Groupe Elidia, 2018)
Pablo Montoya, né en 1963, est colombien. Il est romancier, nouvelliste, poète et essayiste. On lui doit quatre romans qui peuvent être considérés comme des romans historiques : Tríptico de la infamia, Los derrotados, Lejos de Roma et La sed del ojo. Mais, il l'explique dans un entretien, « Les personnages de mes romans, qui ont des éléments historiques mais qui ne sont pas exactement des romans historiques comme habituellement on entend ce sous-genre littéraire, sont des créateurs en formation qui, bientôt, se voient ébranlés par les turbulences de leur domaine respectif. C'est pourquoi, entre autre, on peut aventurer que mes supposés romans historiques sont, en réalité, des romans de formation, des romans d'artiste. » Ainsi, Triptyque de l'infamie, s'articule autour de trois personnages historiques pour raconter la création artistique et les convulsions du XVIe siècle : Jacques Le Moyne, cartographe et illustrateur, François Dubois, peintre et Théodore de Bry, dessinateur et graveur. Ravages de la conquête du Nouveau Monde, guerres de religion, massacre de la Saint Barthélémy... c'est toute une époque d'intolérance dont ces artistes témoignent et qu'ils tentent de surmonter.
« Et l'idée d'infériorité commença chez lui à vaciller quand le peintre apprit que la mixture dont les Indiens se servaient pour se noircir les dents les protégeait efficacement, alors que les bouches européennes étaient une succession d'haleines pourries qui culminaient dans la vision de grimaces creuses. Mais son argument le plus décisif pour éliminer cette idée, qui planait sur tous les discours ou presque, tant des hommes doctes que du vulgaire, était d'ordre artistique. Ce que réalisaient les Indiens, à leurs heures d'oisiveté heureuse, avec des substances qu'ils tiraient des arbres, des cailloux et des animaux, était le résultat d'un réseau de significations complexes qu'il essayait de comprendre. Quand il se penchait sur ces points noirs tracés au-dessus des lèvres, sur la multitude d'insectes jaunes qui montaient le long des jambes, sur les fleurs pourpres qui ouvraient leur corolles sur les abdomens, Le Moyne sentait que son émotion était d'une nature semblable à celle qui l'envahissait quand il regardait les murs des cathédrales entièrement recouverts de scènes de la Genèse. »
