"Trois contes sans amour" de Ezequiel Martínez Estrada

Titre original : Tres cuentos sin amor

Traduit par Anne-Claire Huby

(L'atelier du tilde, 2014)


Poète, essayiste (on lui doit une notable Radiografía de la Pampa), critique littéraire, biographe et écrivain de prose et de théâtre, l'Argentin Ezequiel Martínez Estrada (1895-1964) est une des figures tutélaires de la littérature latino-américaine. Il offre dans ce recueil, trois nouvelles qui dépeignent l'univers rural de l'Argentine des années 1950. On y trouve des personnages frustes qui se débattent pour survivre dans une société et un environnement marqués par la rudesse et le labeur.


« -Il y a une vache qui est tombée et ne veut plus se lever.

La mère fit un bond et se mit à courir vers le puits. Il y avait trois jours que personne ne s'occupait des bêtes et elles ne devaient plus avoir une goutte d'eau à boire. Certaines étaient près de l'abreuvoir, regroupées dans l'enclos, dans un tel état d'exténuation par manque de pâturage, qu'elles faisaient peine à voir. Et, en plus, deux jours sans eau. Elle n'avait pas pensé à elles, tellement perturbée par l'annonce de la mort soudaine de son mari, au village. Lorsque la femme arriva au puits, incapable d'autre chose, elle commença à tirer l'eau avec le seau. Ils n'avaient pas de moulin et ce travail se faisait avec un cheval, en attachant la corde à la sangle.

Tout ce qu'il lui restait dorénavant pour se défendre et défendre ses enfants se trouvait là.

Les animaux assoiffés la regardaient. Le puits était profond et bientôt elle se sentit épuisée par l'effort. Elle avait commencé trop vite, sans compter que cent seaux ne suffiraient pas. Tout le travail d'une demi-heure ne se remarquait même pas dans l'abreuvoir, où l'eau à peine versée disparaissait aussitôt ingurgitée par les trachées desséchées par la soif. »