Titre original : Mandíbula
Traduction d'Alba-Marina Escalón
(Editions Gallimard, 2022)
Romancière, poétesse, nouvelliste, l’Équatorienne Mónica Ojeda est une des voix marquante parmi les jeunes auteurs d'Amérique Latine. Ce roman est le premier de ses livres traduit en français. On y découvre un univers truffé de références à la culture adolescente d'aujourd'hui - mangas, creepypastas, jeux vidéos, films d'horreur - et un hommage à la longue tradition littéraire de l'épouvante : Poe, Lautréamont, Lovecraft...
Fernanda, lycéenne insolente d'un établissement catholique de l'Opus Dei, se retrouve kidnappée par sa professeure de lettres, Miss Clara... Le thriller qu'annonce cette situation initiale s'enrichit tout au long du roman de scènes, de pensées, de journaux, de récits, de lettres, de dialogues, qui nous plongent dans un maelström terrifique : jeux sadomasochistes des lycéennes, troubles psychologiques de l'enseignante, relations dysfonctionnelles mère-fille, peinture sociale grotesque et épouvantable, rébellion contre la religion... Un roman complexe écrit avec une ample palette expressive pour tenter de dépasser l’indicible et l'incommunicable de la peur.
Et, aussi, un roman de femmes qui offre un démontage radical de la féminité traditionnelle : la douleur au lieu de la douceur, la violence plutôt que la grâce, la maternité comme dévoration.
« La peur -aurait-elle voulu dire à sa mère – était tellurique : voilà pourquoi, tandis que la forêt dévorait les premiers rayons du soleil, les frissons de Clara s'amplifiaient comme un tremblement de chair.
La cabane et la forêt, situées à quelques kilomètres à peine du volcan, étaient le décor parfait pour être courageuse, enfin. Après tout, on avait besoin du même cran pour marcher vers la vie que pour marcher vers la mort : du même courage, des mêmes ongles cassés. Elle devait pouvoir se purifier de cette confusion de froideur et de chaleur courant dans le torrent vertical de son torse. Elle devait comprendre qu'une horreur perpétuelle, qui éloignait encore et encore la victime de l'ordre de son propre monde, pouvait faire perdre à n'importe qui la volonté de parler. Qu'une horreur comme celle qui à présent exsudait des arbres d'eau le long de son échine était inénarrable et se déployait dans son corps comme une explosion millénaire dans la gorge de Dieu. »
