"Papa" de Vicente Huidobro

Brita et moi de Carl Larsson (1895)


Titre original : Papá o el diario de Alicia Mir

Traduction de Christophe David

(Editions Phébus, 2005)


Vicente Huidobro (1893-1948) est avant tout un des grands poètes du Chili et son œuvre romanesque reste à découvrir. Ce roman, paru en 1934, en est l'occasion. Il semble aussi avoir permis à Huidobro de régler quelques comptes avec le conservatisme obtus de son temps. C'est un roman qui se présente sous la forme d'un journal que tient une jeune fille, Alicia. Elle y dépeint les dissensions et les incompréhensions qui amèneront ses parents à se séparer. D'un côté, la mère qui souscrit et reproduit les codes conformistes de la bonne société et tente d'y soumettre son mari. De l'autre, le père, un homme d'une intelligence supérieure qui défend jalousement son indépendance d'esprit et de mouvement. Dans cet affrontement, l'enjeu est pour Alicia de ne pas perdre ce père qu'elle admire éperdument et tente de déchiffrer. C'est aussi l'enjeu d'une transmission culturelle.


« Les bigots appartiennent à une famille animale répugnante ; ils sont la plus dégoûtante des espèces animales à sang froid. Le bigot est un mammifère singulier, l'unique mammifère qui ne se nourrit pas de ce que lui offre le monde mais préfère vomir dessus. C'est un animal à la peau généralement noire et à l'âme plus noire encore.

Ces mammifères vivent en troupeau à l'ombre des églises, se cachent dans la fumée de l'encens et se multiplient par contact indirect ou peut-être seulement par frôlement des coudes.

En outre, le bigot est un animal prédateur. Quand il marche, il flaire toujours une victime. Il aime l'odeur de la pourriture, comme le chacal ; il recherche les cimetières : comme les hyènes, il est attiré par l'odeur du cadavre. Il est difficile à chasser - malicieux, malin, inquiet, hypocrite et toujours tourné vers l'extérieur. Tout en lui est brumeux, vague et obscur. Il n'a pas de lumière dans le cœur, ne possède rien de réel dans l'esprit, pas même Dieu, parce que Dieu déteste le brumeux et le vague. Jamais Dieu n'a habité l'âme d'un bigot ou d'une bigote et, lorsqu'ils communient, Dieu sort immédiatement de leurs âmes pour aller vite se laver dans un nuage. »