"Deux étrangers sur la terre" de Héctor Tizón

 

Chapelle de Tres Morros, RP 79, sud de la province de Jujuy, Argentine

Titre original : Extraño y pálido fulgor

Traduit par André Gabastou

(Actes Sud, 2002)


Héctor Tizon (1929-2012) est un romancier et nouvelliste argentin. Il fut aussi avocat, journaliste, député et diplomate. Il a du s'exiler en Espagne de 1976 à 1982.

Dans ce roman, un voyageur de commerce à l'existence désenchantée et routinière arpente les provinces argentines. Du récit mélancolique et grotesque de ses souvenirs et de ses rencontres émerge un univers fait d'ennui, d'illusions perdues, d'incommunicabilité, d'interrogations sur le sens de la vie ou sur Dieu et d'irrémédiable solitude. Un jour, dans un hôtel, il tombe sur des lettres d'amour qu'une femme écrit à un certain Juan Fernandez. Elle se plaint de ne pas recevoir de réponse. Le voyageur de commerce décide alors de répondre en se faisant passer pour Juan Fernandez... Un roman où l'on trouve foule de détails et de portraits humanistes et vivants mais où les personnages peinent à exister pleinement.


« Au cours de l'une des promenades qu'il avait l'habitude de faire après avoir rendu visite à ses clients, s'attardant dans les rues en attendant l'heure du dîner, il passa par la gare routière ; il n'y avait pas grand monde à cette heure-là et, dans l'un des kiosques à journaux, il vit un livre qui s'intitulait « Apprenez à faire vos propres diagnostics », la couverture était attirante, bleu clair avec des lettres dorées, et, faute de mieux, il l'acheta. Arrivé dans sa chambre, après s'être couché sur le lit, il ouvrit le livre au hasard et le trouva sans intérêt même si certaines pages étaient illustrées de reproductions floues de petites gravures anciennes. Il consulta la table des matières, tomba sur le mot « dépression » et le chercha. La description de cet état occupait un peu plus d'une demi-page, mais il ne retint que la fin d'une phrase qui disait : « ...devenir, chaque jour, de plus en plus petit. » En la lisant, il se sentit, tout à coup, sûr et certain d'avoir fait une découverte lumineuse, non pas dans la description ou la définition, mais dans cette phrase qui palpitait sous ses yeux comme la clé d'un texte symbolique ou aux lettres inconnues, révélant, au même moment, la seule réponse précise et possible. C'était exactement ce qu'il avait ressenti durant toutes ces années. Devenir, chaque jour, de plus en plus petit, rapetisser, se ratatiner, se cacher et passer inaperçu. »