"Sibérienne" de Jesus Diaz

La Sibérie d'après les voyageurs plus récents. Ferdinand de Lanoye (1810-1870)

 

Titre original : Siberiana

Traduction de François Maspero

(Editions Gallimard, 2003)


Le Cubain Jesús Díaz (1941-2002) est écrivain, dramaturge et cinéaste. Il offre avec ce roman un récit plein d'humour sur les tribulations d'un journaliste afro-cubain, Bárbaro Valdés, parti en Sibérie pour couvrir les travaux de développement ferroviaire du grand frère soviétique : Choc des cultures, conditions de vie plus que rudes, propagande et réalité... Bárbaro ira jusqu'au bout par amour pour son interprète, la belle Nadejda Chalamov.


« Bárbaro regarda les flocons impitoyables qui tombaient comme un requiem sans fin sur le campement volant de Miet-Vidinsk, ôta, de sa main gantée, la neige qui collait à ses sourcils, céda à la tentation de s'attarder un instant sur la chaleur des yeux bleus de Nadejda et se surprit en train d'effleurer de ses lèvres sa joue glacée. Elle eut un mouvement de recul, jeta un regard furtif aux alentours pour s'assurer que personne n'avait vu le geste, se permit un sourire rapide comme un éclair, ajusta les oreillettes de l'épaisse chapka qui lui couvrait la tête et le front, et se mit en devoir de réciter de mémoire, dans un espagnol rugueux des plateaux de Castille, l'emploi du temps du lendemain ; après quoi elle dit au revoir, lui tourna le dos et se dirigea vers le wagon-dortoir des femmes par le chemin le plus court, en s'enfonçant dans la neige jusqu'aux cheville. Il resta à la regarder, hébété, avec la conviction qu'il n'existait pas sur terre d'yeux plus beaux que ceux de cette Sibérienne ni de paysage plus dur que cette taïga infinie à la fin de l'hiver. »