"Les fleuves profonds" de José Maria Arguedas

The American Museum Journal vers 1900

 

Titre original : Los ríos profundos

Traduction de Jean-Francis Reille

(Éditions Gallimard, 1966)


Classique d'une littérature qui s'inscrit dans le mouvement indigéniste, José Maria Arguedas est né au Pérou en 1911. Il fut tout à la fois écrivain et anthropologue. Il est un des premiers auteurs d'Amérique Latine à représenter la vérité des Amérindiens, dans ce cas ceux de culture quechua qu'il connaît bien.

Les fleuves profonds, publié en 1951 et inspiré de sa propre enfance, est considérée comme son œuvre maîtresse. C'est un roman d'apprentissage. Un jeune garçon, fils d'un avocat pauvre qui vit dans l'errance, devient interne dans un collège religieux de province, dans la ville d'Abancay. Dans ce collège, microcosme de la société péruvienne, il fera l'expérience de la violence, de l'abjection, de l'injustice et aura à choisir entre le monde andin où il a grandi et le monde créole dominant.

D'une grande poésie qui trouve sa source dans la culture quechua, dans les paysages et dans les illuminations de l'enfance, ce roman illustre le métissage culturel péruvien et constitue un document plein d'émotions sur le Pérou du début du XX siècle.


"Antéro avait entre les mains une petite toupie. Le corps était fait d'une de ces minuscules noix de coco grises qu'on vend dans les épiceries ; la pointe était longue et fine. La sphère était percée de quatre trous ronds, comme des yeux. Antéro enroula lentement la fine corde, depuis la pointe, puis il lança. La toupie s'immobilisa un instant dans l'air puis tomba au milieu du cercle formé par les élèves. La pointe traça d'abord des cercles dans la poussière ; soufflant par ses quatre trous, la toupie se mit à vibrer comme un gros insecte, puis s'inclina sur son axe. Une ombre grise l'auréolait et un cercle noir séparait en deux la petite sphère : le chant montait de cette ceinture d'ombre. C'étaient les trous, les quatre grands yeux qui s'enfonçaient comme dans du liquide dans la dure bille de coco.

Le chant du « zumbayllu » pénétrait l'oreille et ravivait dans la mémoire le souvenir des rivières, des arbres noirs dont les branches surplombent les falaises."