"Charrue tordue" de Itamar Vieira Junior

Quilombo de Vão de Almas, 2014

 

Titre original : Torto arado

Traduit par Jean-Marie Blas de Roblès

(Éditions Zulma, 2023)


Ce livre est le premier roman d'un jeune auteur du Brésil d'aujourd'hui. Ce qu'il raconte c'est l'histoire qu'il connaît pour en être issu : celle d'une communauté noire d'une fazenda dans le Nordeste brésilien. A travers le destin d'une famille raconté par deux sœurs, Bibiana et Belonisia, on découvre un monde où le temps s'est arrêté, un univers de domination, de magie et de pauvreté. Maison d'adobe, pas d'eau courante, pas d'accès au soin, pas d'école, une vie près de la terre, soumise aux aléas climatiques. Pourtant, les jeunes générations vont davantage en ville et reviennent avec des idées nouvelles : le syndicat, le droit des travailleurs, la répartition des richesses...


"Salu disait que j'étais l'aînée, la première de quatre enfants vivants et de quelques autres morts à la naissance. Belonisia arriva peu après, alors que ma mère m'allaitait encore, malgré la croyance selon laquelle l'allaitement empêche de tomber enceinte. Entre nous deux, à la différence des autres enfants, il n'y eut pas de fausse couche. Deux ans plus tard, après deux enfants mort-nés, vint Zézé et, pour finir Domingas. Entre eux, deux bébés de plus n'avaient pas survécu. C'est Grand-mère, Donana, qui avait aidé ma mère à accoucher. Elle était notre grand-mère, mais aussi « mère attrapeuse », comme on appelle ici les sages-femmes. Ce titre disait quelle était sa place dans nos vies grand-mère et mère. En quittant le ventre de Salustiana Nicolau, tous - vivants, morts à la naissance ou en bas âge – nous avions été accueillis par les petites mains de Donana, le premier espace hors du corps de Salu que nous étions amenés à occuper dans ce monde. Ses mains concaves que j'ai vu si souvent remplies de terre, de grains de maïs et de haricots triés […] de petites mains capables de pénétrer dans le ventre d'une femme pour tourner adroitement un bébé de travers, mal engagé, de ceux qui ne se présentaient pas dans la bonne position pour naître. Elle accoucherait les ouvrières agricoles du domaine jusqu'à quelques jours avant sa mort."